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LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

de la queue et des deux pattes et se maintient inébranlable dans les positions les plus incommodes ; sans se lasser, il peut en une séance dépouiller de son écorce le tronc d’un arbre sec.

Ce qu’il cherche avec tant de persévérance, ce sont les insectes nichés sous les écorces. Il sait reconnaître, au son creux que rend le point frappé, si le bois est carié et nourrit des larves ; au son plus mat et plus sec, si l’emplacement ne mérite pas d’être exploité plus avant. Dans le premier cas, il enlève l’écorce, il fait voler le bois sain en copeaux, il déblaye à grands coups la vermoulure et atteint dans son gîte reculé quelque larve dodue de capricorne ; dans le second cas, il frappe deux ou trois coups bien appliqués pour ébranler les écorces sèches et effrayer les insectes qu’elles abritent. Aussitôt la population déménage, qui d’ici, qui de là, vers le point opposé du tronc ; mais le pic, au courant de l’affaire, exécute un rapide demi-tour et se porte de l’autre côté pour gober les fuyards.

Jules. — À présent je comprends ce que me disait Jacques. Ce n’est pas pour voir s’il a percé le tronc d’un coup de bec que le pic court de l’autre côté, mais bien pour s’emparer des insectes qui fuient. Je trouvais le pic bien sot de se croire de force à percer un tronc d’arbre d’un coup de bec ; maintenant que la cause véritable de sa manœuvre m’est connue, je le trouve bien rusé.

Paul. — Je vous le répéterai encore une fois : la bête a plus d’esprit qu’on ne pense ; aussi prenons garde de tourner en mal des aptitudes dont la raison nous échappe. Ne dit-on pas de la buse qu’elle est stupide, parce qu’elle est d’une incomparable patience pour guetter, immobile, le mulot soupçonneux ? Voilà que maintenant on accuse le pic de la sotte présomption de percer un tronc d’arbre à chaque coup de bec, parce qu’il accourt saisir les insectes fuyant au côté opposé. Rappelez-vous ceci : il n’y a dans l’animal d’autre sottise que celle de notre propre manière de voir. Quand nous pouvons en saisir le véritable but, nous trouvons toujours ses actions d’une parfaite logique, et cela doit être. L’animal n’a pas le choix de ses actes ; il est fait pour exercer d’invariables fonctions, conformes à son genre de vie et de tout temps déterminées par la providentielle sagesse, qui ne peut faire commettre des inconséquences à des créatures dépourvues de liberté. Seul l’homme est libre ; par un sublime pri-