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LA PLANTE

cine et la tige s’infléchissent une seconde fois et reviennent chacune à la direction voulue. Un instinct invincible paraît les animer. En dépit de toutes les difficultés que vous pouvez leur susciter, elles reprennent, l’une sa descente, l’autre son ascension, et périssent plutôt que d’intervertir leurs directions respectives. Des diverses expériences que l’on peut faire à ce sujet, en voici une bien remarquable pratiquée par Duhamel, à qui l’on doit de savantes recherches sur la végétation. — Un gland de chêne est semé dans un tuyau vertical rempli de terre. La semence germe, et suivant l’habituelle loi, la jeune plante dirige sa racine en bas et sa tige en haut. On renverse alors le tuyau de manière que le dessus devienne le dessous, et le dessous le dessus. Bientôt la petite racine fait un coude brusque avec sa primitive direction, la petite tige en fait autant, et chacune reprend l’orientation conforme à ses tendances. Autant de fois on retourne le tuyau, autant de fois les deux parties inverses de la plante se coudent et changent de direction, démontrant ainsi l’insurmontable énergie qui pousse la racine à descendre et la tige à monter. Enfin dans cette lutte obstinée pour reprendre la direction intervertie par l’expérimentateur, la racine, si le tuyau est en verre, se coude toujours vers le côté obscur, vers le côté opposé à la lumière, tandis que la tige se coude vers le côté exposé au grand jour. Lumière et ascension pour la tige, descente et obscurité pour la racine, telles sont les conditions qui font loi.

Dans cette double tendance vers le jour et vers la terre, y a-t-il quelque vague discernement de la part de la plante ; la racine et la tige sont-elles capables de chercher et de choisir ; ou plutôt n’y aurait-il pas ici en action cette mystérieuse puissance qui, préposée à la sauvegarde des êtres, fait accomplir à la moindre créature, aveuglément, sans prévision, des actes d’une incomparable sagesse ? Chez les animaux, elle prend le nom d’instinct. Le mammifère nouveau-né, sans expérience acquise, sans essai préalable, sans tâtonnements, s’attache au mamelon où il