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L’ÉCORCE

Avez-vous jamais ouï parler du froid qu’il fait dans ce lugubre pays ? Écoutez. Dès qu’on apparaît à l’air, le souffle expiré cristallise en aiguilles de givre autour des narines ; les larmes se gèlent sur les paupières et les soudent l’une à l’autre ; la bise vous cingle le visage comme avec des lanières de cuir et laboure la peau de gerçures ; le sang paraît se figer dans les veines ; les chairs bleuissent, tournent au blanc mat et perdent toute sensibilité. Si l’on ne rentrait vite, on serait perdu. Comment donc fait l’équipage pour se garantir de ce froid atroce à l’intérieur du navire incrusté dans les glaces ? Il double tout l’intérieur du vaisseau d’une épaisse couche de liége.

Tous les arbres ne sont pas également habiles à épaissir leur enveloppe subéreuse pour s’en faire un étui si efficace contre le froid ; la plupart même la perdent de bonne heure, comme ils perdent l’épiderme. Ils recourent alors aux couches corticales plus profondes, tantôt à l’une, tantôt à l’autre, pour avoir une contrefaçon du liége, c’est-à-dire un fourreau de matière spongieuse plus ou moins propre à les défendre contre les intempéries. Outre l’épiderme, dont il est inutile de tenir compte puisqu’il se détruit de très-bonne heure, l’écorce comprend l’enveloppe subéreuse, l’enveloppe cellulaire et le liber. Chacune d’elles peut être tour à tour, suivant l’espèce végétale, le siége d’un travail actif qui multiplie ses assises, tandis que les autres sont plus lentes à l’œuvre ou même restent inactives et dépérissent. De là plusieurs variétés dans la nature du vêtement externe de l’arbre.

Si l’enveloppe subéreuse est la plus active à multiplier ses cellules, l’arbre est revêtu de véritable liége ; mais si elle chôme, elle disparaît tôt ou tard, refoulée au dehors par l’expansion des couches sous-jacentes. Alors la couche cellulaire en prend la place. De ses cellules extérieures, durcies et rembrunies, elle fabrique un faux liége, qui tantôt s’amasse en plaques épaisses comme dans le sapin, tantôt se réduit à des feuillets renouvelés tous les ans comme dans le platane. D’autres fois, le liber seul est en