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L’INDIVIDU VÉGÉTAL

porte de bourgeons ; mais le bourgeon n’est plus divisible, il périt par le fractionnement. L’individu végétal est donc le bourgeon.

Bien des faits, qui seraient inexplicables avec l’organisation d’un être réellement simple, deviennent d’une parfaite clarté si l’on considère l’arbre comme un être collectif, dont les divers individus, les bourgeons, vivent en commun tout en conservant une certaine indépendance. — Lorsqu’on taille un arbre fruitier en supprimant une partie de son branchage, cette large mutilation, comme n’en pourrait supporter sans périr aucun être simple, loin d’être mortelle à l’arbre, lui est au contraire favorable, parce que les bourgeons qu’on laisse profitent de la nourriture destinée aux bourgeons enlevés. — Si par le moyen de la greffe, on ajoute à un arbre des bourgeons provenant d’un autre arbre, la communauté n’est pas influencée par les nouveaux venus ; fils de la maison ou étrangers, les bourgeons se développent, fleurissent et fructifient chacun à sa guise, sans rien emprunter aux habitudes des voisins. Parmi les curiosités que l’on peut obtenir au moyen de ces associations artificielles basées sur la mutuelle indépendance des bourgeons, je vous citerai un poirier sur lequel la greffe avait réuni toute la collection des poires cultivées. Apres ou douces, arides ou juteuses, grosses ou petites, vertes ou vivement colorées, toutes ces poires mûrissaient sur le même arbre et se renouvelaient chaque année sans modifications, fidèles aux caractères de race, non de l’arbre nourricier mais des divers bourgeons implantés sur ce support commun.

La démonstration est, je crois, suffisante. Je conclus par cette originale définition de Dupont de Nemours : « Une plante est une famille, une république, une espèce de ruche vivante, dont les habitants, les citoyens ont la nourriture en commun et mangent au réfectoire. »