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L’INDIVIDU VÉGÉTAL

truire ; relativement au végétal, diviser, c’est multiplier.

Quand il veut planter un coteau nouvellement défriché, le vigneron va couper avec sa serpette, sur une vigne, autant de rameaux qu’il désire de plants. Mis en terre par une extrémité, ces rameaux prennent racine et deviennent en peu d’années autant de souches, qui portent vendange et donnent de vigoureuses pousses, servant à leur tour à d’autres plantations. Des étendues considérables, des cantons entiers, peuvent ainsi se couvrir de vignobles dont tous les ceps sont des tronçons directement ou indirectement détachés d’une souche unique primitive. Qui nous dira si des quelques souches, des quelques rameaux, apportés en Gaule, il y a vingt-quatre siècles, par les Phocéens, fondateurs de Marseille, ne dérive pas une grande partie de nos vignobles actuels par une série d’amputations, qui retranchent le superflu des plants anciens et de chaque tronçon font un nouveau plant ? Où est ici l’indivisible, où est l’individu ? Ce n’est certes pas le pied de vigne, qui se fractionne indéfiniment et revit dans chacun de ses rameaux détachés et mis en terre. Dire qu’un cep constitue un individu, c’est admettre que les milliers et les milliers de ceps qui proviennent, et peuvent provenir par fractionnement d’une souche, point de départ, ne sont entre tous qu’un seul et même végétal.

Comme la vigne se propage aussi par graines, beaucoup de nos vignobles, de près ou de loin, proviennent de semis. Or de chaque semence naît un nouveau plant. Cela n’infirme en rien cependant la multiplication plus fréquente par rameaux amputés, et les conséquences que l’on en déduit pour la détermination de l’individu végétal. Je prends toutefois un autre exemple. — On cultive dans toute l’Europe le bel arbre que nous appelons Saule pleureur à cause de ses longs et flexibles rameaux, qui pendent éplorés comme la chevelure d’une personne accablée d’affliction. La science lui donne le nom de Saule de Babylone, parce qu’il est originaire des bords de l’Euphrate, d’où il fut importé en Europe, du temps des croi-