Page:Fabre - La Plante (1876).djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
213
CHIMIE DES ÊTRES VIVANTS

fier, sans poularde, sans râble de lièvre et sans vanneaux. Le précepte : « Pour faire un civet de lièvre, prenez un lièvre » est trop exigeant. Ne prend pas de lièvre qui veut. Il serait mieux de prendre autre chose de très-commun, à la portée de tous, et d’obtenir tout de même le civet.

Le cuisinier était ahuri, tant mon ami parlait avec un air de sincère conviction.

— Un vrai civet de lièvre sans avoir de lièvre, un vrai rôti de poularde sans avoir de poularde ? Et vous feriez cela, vous ?

— Non, pas moi : je n’ai pas, tant s’en faut, l’habileté voulue. Mais enfin, je sais quelqu’un qui le fait, et auprès duquel vous et vos confrères n’êtes encore que d’ineptes fricotteurs.

La prunelle du cuisinier s’alluma d’un éclair : l’amour-propre de l’artiste était blessé au vif.

— Et qu’emploie-t-il, s’il vous plaît, votre maître parmi les maîtres, car je suppose qu’il ne tire pas ses poulardes de rien ?

— Il fait usage d’assez pauvres ingrédients. Voulez vous le voir ? Les voici au complet.

Mon ami sortit trois fioles de sa poche. Le cuisinier en prit une. Elle contenait une fine poussière noire. L’artiste aux coulis palpa, goûta, flaira.

— C’est du charbon, fit-il ; vous me la donnez belle. Vos poulardes au charbon doivent être fameuses ! Voyons la seconde fiole. C’est de l’eau, ou je me trompe fort.

— C’est de l’eau, en effet.

— Et la troisième ? Tiens, il n’y a rien.

— Si, il y a quelque chose ; de l’air.

— Va pour de l’air. Dites donc : çà ne doit pas être lourd à l’estomac, vos poulardes à l’air. Parlez-vous sérieusement ?

— Très-sérieusement.

— Vrai ?

— Tout ce qu’il y a de plus vrai.