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LA PLANTE

une gouttière de la gencive et s’y tiennent inoffensifs comme un stylet dans son fourreau. De la sorte, le reptile ne court pas le risque de se blesser lui-même. En outre, des crochets de rechange, plus jeunes, arment la mâchoire en arrière des premiers, pour remplacer ceux-ci s’ils viennent à se casser. Pour le moment les deux aînés suffisent ; à eux seuls ils constituent l’arme de la vipère et des autres serpents venimeux. Ce sont eux qui, sur la partie blessée, laissent deux points rouges, vraies piqûres d’aiguille ; ce sont eux enfin qui causent tout le mal, car le reste de l’empreinte de la mâchoire, quand cette empreinte existe à l’endroit mordu, est sans effet aucun, à part une meurtrissure très-superficielle. Comment deux légères piqûres peuvent-elles amener de graves désordres organiques, provoquer même la mort ? Cela tient à ce que le reptile inocule, dans la blessure faite par les crochets, un liquide atroce, un venin, de même que l’ortie répand dans la petite plaie faite par un poil le contenu venimeux de l’ampoule. Ce liquide est une humeur d’aspect inoffensif, sans odeur, sans saveur, rappelant presque de l’eau. Mis sur la langue, avalé même, il n’a pas d’action ; et voilà pourquoi on peut sucer sans crainte, pour en extraire le venin, la plaie faite par le reptile ; mais une fois introduit dans le sang, il révèle ses redoutables énergies.

À l’effet d’introduire le venin dans la plaie, les crochets sont creux et percés vers la pointe d’une fine ouverture. Un canal membraneux conduit le venin dans la cavité dentaire. Une petite ampoule le tient en réserve ; enfin un organe spécial, une glande, le prépare. Le même appareil se retrouve chez les divers serpents venimeux, dans la vipère de nos pays, dans le hideux céraste du Sahara algérien, qui tue en quelques heures ; dans les crotales, dont les crochets font expirer un bœuf presque instantanément.

Les insectes mêmes, d’un art si raffiné dans leurs armes, ne changent rien d’essentiel à cet appareil de