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LA GREFFE

sont emboîtées, blanches et tendres, en tête serrée ; et le chou pommé a été le résultat final de cette magnifique métamorphose. Voilà bien, sur le roc de la falaise, le point de départ de la précieuse plante ; voici, dans nos jardins potagers, son point d’arrivée. Mais où sont les formes intermédiaires qui, à travers les siècles, ont graduellement amené l’espèce aux caractères actuels ? Ces formes étaient des pas en avant. Il fallait les conserver, les empêcher de rétrograder, les multiplier et tenter sur elles de nouvelles améliorations. Qui pourrait dire tout le travail accumulé qui nous a valu le chou-cabus ?

Et le poirier sauvage, le connaissez-vous ? C’est un affreux buisson, hérissé de féroces épines. Ses poires, détestable fruit qui vous serre la gorge et vous agace les dents, sont toutes petites, âpres, dures et semblent pétries de grains de gravier. Certes celui-là eut besoin d’une rare inspiration qui, le premier, eut foi dans l’arbuste revêche et entrevit, dans un avenir éloigné, la poire beurrée que nous mangeons aujourd’hui.

De même, avec la grappe de la vigne primitive, dont les grains ne dépassent pas en volume les baies du sureau, l’homme, à la sueur du front, s’est acquis la grappe juteuse de la vigne actuelle ; avec quelque pauvre gramen aujourd’hui inconnu, il a obtenu le froment ; avec quelques misérables arbustes, quelques herbes d’aspect peu engageant, il a créé ses races potagères et ses arbres fruitiers. La terre, pour nous engager au travail, loi suprême de notre existence, est pour nous une rude marâtre. Aux petits des oiseaux, elle donne abondante pâture ; à nous, elle n’offre de son plein gré que les mûres de la ronce et les prunelles du buisson. Ne nous en plaignons pas, car la lutte contre le besoin fait précisément notre grandeur. C’est à nous, par notre intelligence, à nous tirer d’affaire ; c’est à nous à mettre en pratique la noble devise : Aide-toi, le ciel t’aidera.

L’homme s’est donc étudié de tout temps à démêler parmi les innombrables espèces végétales, celles qui peu-