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LA PLANTE

être agréable, s’est avisé lui-même d’empiler en tête compacte de belles feuilles blanches. Vous vous figurez que le froment, le potiron, la carotte, la vigne, la betterave et tant d’autres encore, épris d’un vif intérêt pour l’homme, ont de leur propre gré toujours travaillé pour lui. Vous croyez que la grappe de la vigne est pareille maintenant à celle d’où Noé retira le jus qui le grisa ; que le froment, depuis qu’il a paru sur la terre, n’a pas manqué de produire tous les ans une récolte de grain ; que la betterave et le potiron avaient aux premiers jours du monde la corpulence qui nous les rend précieux. Il vous semble, enfin, que les plantes alimentaires nous sont venues dans le principe telles que nous les possédons maintenant. Détrompez-vous : la plante sauvage est en général pour nous une triste ressource alimentaire ; elle n’acquiert de la valeur que par nos soins. C’est à nous, par notre travail, notre culture, à tirer parti de ses aptitudes en les modifiant.

Dans son pays natal, sur les montagnes du Chili et du Pérou, la pomme de terre à l’état sauvage est un maigre tubercule, de la grosseur d’une noisette. L’homme donne accueil dans son jardin au misérable sauvageon ; il le plante dans une terre substantielle, il le soigne, il l’arrose, il le féconde de ses sueurs. Et voilà que, d’année en année, la pomme de terre prospère ; elle gagne en volume, en propriétés nutritives, et devient enfin un tubercule farineux de la grosseur des deux poings.

Sur les falaises océaniques, exposées à tous les vents, croît naturellement un chou, haut de tige, à feuilles rares, échevelées, d’un vert cru, de saveur âcre, d’odeur forte. Sous ces agrestes apparences, il recèle peut-être de précieuses aptitudes. Pareil soupçon vint apparemment à l’esprit de celui qui le premier, à une époque dont le souvenir s’est perdu, admit le chou des falaises dans ses cultures. Le soupçon était fondé. Le chou sauvage s’est amélioré par les soins incessants de l’homme ; sa tige s’est affermie ; ses feuilles, devenues plus nombreuses, se