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LE POLYPIER ET L’ARBRE

hasard ne les favorise pas tous de la même manière : tel fait une chasse abondante, tel autre ne referme pas une seule fois le filet de ses tentacules. N’importe : la journée finie, la nourriture a été égale pour tous ; les estomacs qui ont digéré ont fourni leur ration aux autres.

Comment s’est établi d’estomac à estomac cet étroit communisme que, dans ses plus folles aberrations, l’esprit humain n’aurait jamais conçu ; comment s’est organisé cet étrange réfectoire où l’individu qui mange nourrit son voisin qui n’a pas mangé ? Voici : — Tout pied de corail débute par un seul polype, qui, issu d’un œuf et d’abord errant dans les eaux, finit par se fixer à une roche sous-marine pour y fonder une colonie. Ce polype, une fois qu’il a pris domicile, bourgeonne à la manière de l’hydre, à la manière de la plante. Un nouveau polype pousse donc sur le flanc du premier. La communication entre la cavité digestive du polype rameau et celle du polype souche est d’abord indispensable, afin que la nourriture saisie et digérée par ce dernier profite au jeune, incapable de se suffire encore à lui-même. Cette communication a lieu absolument comme chez l’hydre, avec cette différence qu’elle n’est pas destinée à s’interrompre un jour. Les polypes du corail, arrivés à maturité, ne se séparent pas pour aller s’établir ailleurs ; ils continuent à vivre en famille, indissolublement unis entre eux.

Or, le premier polype issu d’un bourgeon est suivi d’un second, d’un troisième, d’un quatrième, etc. Les fils, à leur tour, bourgeonnent des petits-fils ; ceux-ci, des arrière-petits-fils ; et ainsi de suite, sans limites arrêtées, si bien que les générations successives s’échelonnent sans fin par de nouveaux bourgeonnements, de jour en jour plus nombreux. Quant au domicile commun ou corail, il résulte de l’exsudation de tous ses habitants, qui suent de la pierre comme l’escargot transpire les matériaux de sa coquille. Chaque polype nouveau-né apporte son contingent de matière pierreuse, et l’édifice grandit, se ra-