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BOURGEONS ÉMIGRANTS

représente le passé. L’année dernière, c’était un tubercule gonflé de vivres ; il s’est vidé et réduit à une mince peau pour nourrir sa tige et léguer sa substance au tubercule actuel. Le présent est représenté par le tubercule flétri, dont la chair se ramollit, se fluidifie lentement et se transvase dans les parties de la plante de formation nouvelle. C’est aux dépens de sa substance que s’est nourrie la jeune pousse avant qu’elle eut des racines, c’est aux dépens de sa substance que se gonfle le tubercule nouveau. Ce dernier, frais, consistant, plein de vigueur, représente l’avenir ; il porte en germe la plante de l’année prochaine. La saison finie, l’orchis va périr ; la tige se dessèchera ainsi que les racines, le tubercule qui l’a nourrie ne sera plus qu’une dépouille
Fig. 66. Tubercules d’Orchis.
sans valeur ; mais le second tubercule, survivant seul à la ruine de la plante, persistera sous terre et attendra le soleil printanier pour développer son unique bourgeon en un pied d’orchis semblable au précédent. C’est ainsi qu’au moyen de son double magasin de vivres, de son double tubercule dont l’un se vide tandis que l’autre s’emplit, l’orchis transmet, d’une année à l’autre, un bourgeon approvisionné et se perpétue indéfiniment à la même place, si rien ne vient troubler cette admirable filiation. Les tubercules successifs sont alternés dans leur arrangement, c’est-à-dire qu’ils naissent tour à tour à droite puis à gauche ; de cette manière, la plante ne se déplace point mais oscille d’un centimètre ou deux chaque année autour de la même position moyenne. Tel pied d’orchis que l’on rencontre solitaire en un point non fréquenté est peut être le descendant de centaines de générations, qui se sont succédé exactement à la même place et se sont transmis intact l’héritage tuberculaire, toujours consommé pour les besoins du présent, mais toujours reconsti-