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moins d’une minute, si par malheur on avisait quelque visage suspect. Le Parc réunissait ces deux conditions ; je le savais par expérience.

« Adrien, quoique un peu surpris de ce détour tout à fait inattendu, ne hasarda pas la moindre observation. J’étais pour lui le neveu de M. le curé d’Octon, et ce que je faisais était probablement bien fait. Comme il avait de l’argent, je l’invitai à acheter quelques friandises à une vieille femme établie à l’une des extrémités du Parc, et nous fîmes ample connaissance en mangeant des pralines et des macarons.

« Je m’épanchai dans le sein de ce nouvel ami ; je lui racontai mes luttes, mes combats avec mes camarades ; la rage dans le cœur, je lui nommai ceux qui m’avaient humilié, battu, foulé aux pieds.

« — Vois-tu, lui dis-je, si je t’ai fait manquer le collége cette après-midi, c’est parce que j’avais à te parler de tout cela. Imagine-toi qu’ils m’ont mis en quarantaine, de sorte que maintenant, je ne suis d’aucun jeu. Ah ! que mon oncle a bien fait de t’amener chez nous ! Sais-tu pourquoi, tout à l’heure, nous sommes restés plantés tout debout devant la porte du collége ? parce que je voulais qu’ils vissent tes bras longs et forts, et qu’ils sussent que j’ai un ami… Voyons, te battrais-tu pour moi, Adrien ?

« — Certainement, si l’on t’attaquait.

« — Oh ! merci, Adrien ! m’écriai-je ; on m’attaquera, on m’attaquera, je te le promets !… Je les forcerai bien à m’attaquer ! »

« Je l’embrassai avec une effusion convulsive.

« Tout ravi des dispositions de Sauvageol et impatient d’en profiter, vers quatre heures, je l’engageai à quitter le Parc, et nous nous dirigeâmes, par la Promenade-Basse, vers la route de Soubès. C’était par là que devaient passer, en rentrant chez eux après la classe, mes ennemis les plus redoutés. Nous attendîmes longtemps : Adrien assis sur le parapet de la promenade, insouciant, tranquille, ne se doutant de rien ; moi debout, l’œil au guet, le corps frémissant, l’esprit violemment agité. Enfin, un grand parut, puis deux petits, puis encore un grand…

« — Adrien, m’écriai-je, les voici ! »

« Et le saisissant avec force, je l’entraînai dans la direction des arrivants.

« Je ne me souviens plus de quels mots je me servis pour provoquer mes condisciples, ni comment s’engagea la lutte ; ce que je n’ai pas oublié toutefois, c’est le heurt violent de