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— Vous en voulez donc bien à cet honnête mont Valérien ! répondit Vernier.

— J’en veux à tout ce qui me rappelle ma prison.

— Vous n’aimez pas Paris !

— Je le hais ! fit-il avec un geste de dégoût… Ah ! si le vers de Virgile n’avait pas été si souvent répété !…

O fortunatos nimium agricolas n’est-il pas vrai ?

— Ne vous moquez pas, mon ami : j’étais fait pour connaître le bonheur dont parle le poète. Pourquoi ne suis-je pas resté aux champs ? Quand je compare ma vie d’air libre d’autrefois à ma vie d’étude d’aujourd’hui, combien je regrette ma petite ville natale, enserrée dans les montagnes ! Quels adorables vagabondages le long du ruisseau de la Soulondre, sur les hautes plaines nues de l’Escandorgue !… Tenez ! je me souviens encore du tour que nous joua, à mon ami Adrien Sauvageol et à moi, une alouette huppée, une après-midi que nous étions allés engluer des oiseaux à la Mare-aux-Chardonnerets, en plein Escandorgue.

— Oh ! contez-moi cela. Je ne suis pas aussi contempteur de la nature que vous pouvez le croire.

— Oui, mais il faudrait à ce récit une courte préface qui vous renseignât sur mon caractère à cette époque éloignée.

— Va pour la préface ; je vous écoute.

Julien Savignac se recueillit une minute, puis il commença en ces termes :

« Tel que vous me voyez avec mon air de douceur résignée, j’étais, à treize ans, ce qu’on appelle un franc mauvais sujet. Déjà, dès ma première enfance, j’avais donné les marques d’un caractère obstiné, sournois, violent ; mais à treize ans, mes camarades de collége me surnommaient Tempête, et j’avoue que, moi présent, les amusements dégénéraient vite en querelles. Le passage à l’adolescence ne corrigea pas mes abominables travers ; au contraire, l’inquiétude causée par le travail de la nature en train de préparer l’homme, leur donna tout à coup plus de consistance et d’irritabilité. Harcelé par un malaise inexplicable, je devins, à quatorze ans, un véritable chien enragé. Je m’en pris, de mes involontaires tristesses, à tous les enfants de ma division, aux grands comme aux petits. Les grands me battaient, me roulaient dans la poussière pour me réduire au silence, car ma bouche les injuriait encore quand mon bras ne pouvait plus les atteindre ; mais les petits me restaient, et je me jetais sur eux sans pitié. Que de larmes coûtait chacune de mes larmes !

« À la fin, les victimes de ma brutalité féroce se plaignirent