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eut peur d’être renvoyé à Octon, et les larmes lui vinrent aux yeux. Comme il paraissait beaucoup tenir à rester à Lodève, je le rassurai, lui répétant que ma mère était bonne, tout à fait incapable de le dénoncer à mon oncle Savignac.

« Cependant, comme de mon côté je n’étais pas sans éprouver quelque inquiétude, — le retour de mon père était toujours suspendu sur ma tête, — je l’engageai le lendemain à me suivre au collége, où, contre notre habitude, nous arrivâmes des premiers.

« Quelques jours se passèrent dans un travail assidu, une régularité admirable. Malheureusement, Adrien m’avait donné le goût des grandes aventures, et malgré moi, je rêvais de l’Escandorgue. La lande, avec ses espaces nus, ses blocs de rochers, ses lavandes, ses buis, ses genévriers, me bouleversait l’imagination. Penché sur mon pupitre, je ne détachais pas mes yeux du cadran de Grangelourde, et j’entendais incessamment le gazouillement des oiseaux à la Mare-aux-Chardonnerets. Tout un monde nouveau m’avait été révélé, et ce monde m’obsédait. Oh ! quand reverrai-je les hautes plaines ? Pourquoi n’étais-je pas berger à Grangelourde ou dans quelque ferme des environs ? Enfin je n’y tins plus, et je formais le dessein, coûte que coûte, d’aller à l’Escandorgue. J’inviterais Adrien à me suivre, mais je partirais seul s’il refusait. Sauvageol, dévoré secrètement des mêmes désirs, n’eut garde de se faire tirer l’oreille, et nous allâmes passer une nouvelle journée en plein air, en pleine nature, au bord de la Mare-aux-Chardonnerets.

« Notre vie désormais devint un véritable vagabondage. Nous paraissions bien quelquefois au collége, mais le plus souvent nous récitions nos leçons aux merles de Gourgas, aux verdiers du ruisseau de la Soulondre, aux linottes de l’Escandorgue. Sauvageol avait pesé les menaces de ma pauvre mère, et, sachant ce qu’elles valaient au juste, ne s’en préoccupait plus. Moi même, j’avais fini par croire à force de m’entendre redire que mon père arrivait, qu’il ne reviendrait jamais. Nous étions libres !

« Mais le moment approchait où notre dissipation éclaterait aux yeux de tous. Le temps fuyait rapide au milieu de nos joies, et nous touchions déjà au mois d’août. Encore quelques excursions aux montagnes prochaines, et nous accrochions le 10, jour fixé pour la distribution solennelle des prix. Que deviendrions-nous ce jour-là ? Où cacher notre confusion, notre honte ? Le Principal du collége ne nous dénoncerait-il pas lui-même à nos parents ? Qu’arriverait-il si,