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commençais aussi à me préoccuper beaucoup de notre retour à la ville. Bien que le soleil me parût haut encore, j’aurais voulu partir. Je manifestai à plusieurs reprises mon impatience à Sauvageol ; mais l’Octonnais qui n’était jamais plus heureux qu’en rase campagne, ne m’entendait guère. Pour avoir raison de lui, je me mis à m’agiter sous les châtaigniers de façon à effrayer les oiseaux. Adrien me comprit, se leva, et tout en dévorant ce qui nous restait de provisions, nous nous mîmes en route. Le cadran de Grangelourde indiquait deux heures ; nous accélérâmes le pas et perdîmes bientôt la ferme de vue.

« Malgré les craintes de toute sorte qu’amenait dans mon esprit notre retour à la maison, mes impressions du soir, en traversant les éternelles friches de l’Escandorgue, furent plus douces, plus sereines que celles du matin. D’abord je n’avais plus peur d’être traqué par les loups, puis la lande me paraissait belle avec le grand soleil rouge qui la chauffait et la faisait resplendir. Maintenant les pyramides et les hauts clochers de basalte, croisant leurs grandes ombres de tous côtés, me rappelaient Saint-Fulcrand avec ses gargouilles, ses arcs-boutants, ses tours, et le chant monotone de mes pauvres oiseaux captifs m’emplissait l’âme de poésie.

« En arrivant à la ville, Adrien m’invita à le suivre chez les dames Fangeaud ; il voulait voir Méniquette tout de suite. Les dames Fangeaud étaient sorties, et, par un bonheur tout à fait inespéré, nous trouvâmes Méniquette seule. Sauvageol enleva le mouchoir qui recouvrait la cage et montra avec orgueil notre chasse à sa cousine. Méniquette resta ébahie, puis elle demanda naïvement s’il y avait là quelques oiseaux pour elle.

« Mais tous sont pour toi, tous ! lui répondit Sauvageol.

« Oh ! merci, Adrien, » dit la jeune paysanne prenant la cage sur ses genoux et l’enveloppant de ses deux bras par un mouvement de tendre sollicitude.

« Nous quittâmes Méniquette, Adrien, ayant parlé beaucoup, moi n’ayant pas dit un mot. Je crois pourtant que j’avais eu le courage de répondre un oui à la cousine de mon ami, qui me demandait si j’étais le neveu de M. Savignac, curé d’Octon. N’étant jamais resté interdit devant personne, pas même devant mon père, je fus bien étonné de mon embarras auprès de Méniquette ; je l’attribuai à l’effroi que me causait, après notre escapade, ma rentrée à la maison, et je n’y pensai plus.

« Les reproches de ma mère épouvantèrent Sauvageol : il