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La Bête, si terrible pour cette malheureuse paroisse, ne comptait pas s’en tenir là :


« 15 may. — J’ai l’honneur de vous informer, que le samedy onze du présent, entre les deux ou trois heures du soir, quatre petits garçons du village d’Auvers, paroisse de Nozeirolles, gardaient les vaches dans les bois de la Tenezeire, proche de leur village, dont le plus vieux de l’âge de quatorze ans, et les autres trois de l’âge de dix à douze ans, ont esté attaqués par la bette féroce. Le plus grand garçon qui avoit un bâton assez long au bout duquel estoit une bayonnette fut fort courageux pour se défendre, et ses petits camarades, l’un desquels fut poursuivi par la Bette qui commençoit par le prendre par les habits. Mais le plus grand porta sur la Bette plusieurs coups de bayonnette qui la firent reculer, et un autre des petits encouragé par la hardiesse du plus grand, ayant un batton à la main luy en porta un coup sur le muzeau qui la fit fortement tousser et après la Bette se sauva dans les bois…

« Ce rapport m’a été fait ce jourd’huy par le plus grand accompagné de son père. À Langeac, 15 May[1]. »

Les familles éprouvées étaient, on le conçoit, dans une profonde désolation. Partout, d’ailleurs, la terreur était à son comble.

Cette maudite Bête ne se bornait plus à assaillir dans les pâturages les gardeurs isolés et sans défense. Son appétit et son audace s’étaient singulièrement accrus, et elle venait maintenant jusque sur le seuil des maisons, jusque dans les cours fermées, emporter les jeunes enfants sous l’œil des parents, parfois même au milieu de groupes stupéfaits de cette insolence.

Aussi le syndic de Gévaudan recommandait-il dans tous les villages la compascuité, et les gardeurs en nombre ne partaient plus sans s’être prémunis de piques effilées et acérées qu’avait fait distribuer l’Intendant d’Auvergne. Les chiens qui avaient à lutter contre la Bête, furent pourvus d’énormes colliers en fer forgé, avec des pointes aiguës qui défiaient les dents les plus pénétrantes.

  1. Ibid. C. 1733. Lettre de M. Marie à Langeac.