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On aurait mauvaise grâce à ne pas en convenir, cette infériorité de l’homme sur la Bête prêtait bien un peu à la raillerie.

Toutefois, comment pouvait-il se faire que ce monstre pût se dérober à tant de battues, échapper à tant de chasseurs, et faire impunément tant de victimes ?

Et d’abord, les difficultés des lieux faisaient merveilleusement le jeu de la Bête.

On ne peut se figurer, sans les avoir vues, ces gorges profondes, ces ravines sauvages de Meyronne et la Révolte, de la Desge, au-dessous de la Besseyre, de la Truyère sur l’autre versant des Margerides qui sont elles-mêmes creusées de plis profonds, souvent hérissées d’épais taillis, inaccessibles à l’homme et praticables aux fauves seuls. La Bête avait tôt fait de sauter d’un versant à l’autre, de se couler sans être vue à la faveur des taillis et de mettre en défaut, tout en passant près de lui, la vigilance du tireur au poste. Et là-haut sur les arides sommets des monts que ne ponctuent ni arbres ni arbustes, il lui était facile d’apercevoir le chasseur aux aguets, et de se sauver hors de portée.

Si quelquefois, l’éveil donné, elle ne pouvait se sauver à temps sans essuyer quelques coups de fusil, l’imperfection des armes de cette époque, le saisissement et le manque d’assurance ou la trop grande distance du tireur rendaient la plupart des coups inutiles, quand le feu lui-même ne ratait pas.

Les battues, par elles-mêmes, n’étaient pas si dangereuses qu’on pourrait le croire. Il y avait une telle cohue, une telle confusion, et entre les tireurs et les rabatteurs de si larges vides amenés forcément par les grands bois, les forêts impénétrables, alors plus nombreux qu’aujourd’hui, qu’il n’est point étonnant que la Bête ait pu aisément se dérober.

D’ailleurs, ceux qui jusqu’ici avaient dirigé les chasses tenaient à s’assurer la récompense promise, et à tuer eux-mêmes la Bête, de sorte qu’ils se réservaient les meilleurs postes, et ne laissaient pas facilement aux autres l’occasion de remporter le prix. C’est ainsi que la prime extraordinaire qui devait assurer la mort du monstre, était peut-être pour lui une cause de salut.

Enfin on ne peut être surpris de voir la Bête dévorer impu-