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D’autre part, M. Pagès de Vixouses rappelait qu’il y a dix-huit ans, on avait vu un animal semblable dans les environs d’Aurillac[1]. Un berger fut attaqué à deux pas de sa porte par cet animal. Il en garde encore la marque le long du visage et à la tête. Cet animal le mordit au sein dont il emporta une partie. Celui du Gévaudan doit être de la même espèce[2].

Que fallait-il croire de ces récits divers ? Quelle était dans ces assertions la part de l’imagination et la part de la vérité ? Ce n’est point à cette distance des faits accomplis que l’on peut avoir la prétention d’élucider la question et de faire complètement la lumière.

Ce qui contribuait à jeter le trouble dans les esprits, c’était la cupidité des paysans qui, parce qu’ils avaient vu allouer certaines indemnités aux enfants et aux grandes personnes attaquées et blessées par la Bête, se donnaient quelquefois le rôle imaginaire de victimes pour attirer sur eux la commisération des pouvoirs publics et solliciter ainsi une aumône rarement refusée.

Le 13 janvier, un certain Géraud, métayer au domaine de Boulan, appartenant à M. d’Estremons, bourgeois de Mauriac, revenait de cette ville, à une heure un peu tardive. Il fut soudain attaqué par la Bête. Mais comme il avait un gros bâton, il sut se défendre, la mit en fuite et en fut quitte pour quelques blessures. Son récit paraissant un peu louche, M. de Tournemire vint faire une enquête et ne tarda pas à découvrir la supercherie du paysan qui, disait-il, « était hyvrogne, et en cette année les vins du Limousin sont fumeux ».

Qu’arriva-t-il ? On emprisonna, pour en avoir imposé, le paysan trompeur, et le 8 février, M. de Saint-Florentin écrivait à M. de Ballainvilliers que l’on avait bien fait de mettre en prison pour quelques jours cet homme : «  Cette punition pouvant servir à contenir ceux qui auroient envie de se servir d’un pareil stratagème pour se procurer quelque gratification[3]. »

  1. Près de cinquante ans auparavant un loup féroce s’était montré dans la paroisse de Lezoux : « 12 sept. 1716. J’ay enterré Gabrielle Challi, décédée le jour précédent munie du sacrement de Pénitence. Cette femme avait été mordue d’un loup enragé, et elle devint enragée… Signé, Parizet, curé de Saint-Pierre de Lezoux. »
    (Reg. de Lezoux.)
  2. Archives du P.-de-D. C. 1731.
  3. Archives du P.-de-D. C. 1732.