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même communauté de goût pour la chair humaine, et cette similitude de procédés dans les attaques et la manière de dévorer les victimes ? Ne serait-ce point une portée de louveteaux que leur mère, un jour de pénurie et de trop grande faim, aurait nourris avec de la chair humaine ?

On sait la prédilection qu’ont les animaux pour les aliments qui leur ont été donnés en pâture dans leur jeune âge et pour lesquels ils gardent plus tard une préférence très marquée. Ces fauves durent trouver à la chair humaine une saveur particulière et purent garder pour elle un appétit si irrésistible qu’il leur fit surmonter cette timidité, cette répulsion naturelle qu’a le loup pour le voisinage de l’homme, et les poussa à venir rôder incessamment autour des villages pour guetter et atteindre leur proie.

Certains sauvages du nouveau continent ne trouvent-ils pas succulente la chair humaine qu’ils dévorent avec une évidente satisfaction ? Est-il donc étonnant que ces loups aient trouvé un goût préféré à cette chair dont ils devinrent insatiables ? Et peut-être même ces loups, ainsi copieusement gorgés, durent-ils à cet aliment d’un nouveau genre, ce développement remarquable et ces plus grandes proportions qui caractérisent les bêtes fauves tuées dans ces chasses, ainsi qu’il sera dit en son lieu ?

Ce qui semble encore plus singulier, c’est le nombre d’animaux extraordinaires que l’on voyait en même temps, en des lieux très distants les uns des autres.

M. Vigier, consul de Saint-Flour, dans une lettre du 14 janvier 1765, annonce à l’Intendant d’Auvergne que la Bête féroce, ou du moins son semblable, vient de paraître aux environs de Durfort et de Sourniac en Limousin, où elle a dévoré un enfant qui gardait les brebis.

« Le père de cet enfant, qui est accouru à son secours, a eu une joue entièrement emportée, et deux autres voisins qui étoient égallement accourus ont reçu des coups de griffe dans le visage ou sur les bras ; ces trois personnes ont passé icy hier dimanche pour aller chés Madame de Sourniac, pour se faire penser, croyant avoir été mordues par un loup enragé[1]. »

  1. Invent. des Archives du P.-de-D., p. 80.