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formations les plus bizarres. Pourvu que les rayures fussent bien marquées, c’était l’essentiel. À cette première époque, la Bête est souvent représentée isolément et sans autres détails accessoires, son aspect seul semblait fournir un spectacle suffisamment suggestif.

Mais les événements se succédant, apportèrent bientôt des sujets de scènes d’un dramatique plus complexe. C’était une jeune fille attaquée, blessant la Bête d’un coup de baïonnette. Puis une mère, au péril de sa vie, lui disputant son enfant emporté déjà. Enfin surtout l’exploit du jeune Portefaix, qui, à peine âgé de douze ans, défendait héroïquement ses petits compagnons et arrachait l’un d’eux à la gueule même de l’animal, lequel é tait forcé de prendre la fuite.

Cependant le bruit de l’extraordinaire aventure du Gévaudan n’avait point tardé à franchir les limites de cette région reculée et perdue des Cévennes. La renommée s’en répandait dans toute la France, et même, dépassant les frontières, parvenait jusqu’aux pays étrangers.

C’est alors que les hautes sphères du pouvoir s’étant émues, la Bête fit, si l’on peut dire, son entrée à la Cour. Elle y devint le sujet de toutes les conversations, et le roi Louis XV, soucieux du bien de ses sujets, donna des ordres et fit prendre des mesures afin de combattre le fléau. D’abord on s’adressa à Denneval, gentilhomme normand, le plus réputé chasseur de loups. Mais ce Nemrod, dérouté par les difficultés du pays et les ruses astucieuses de la Bête, échoua complètement. Dès lors on résolut de frapper un grand coup. Et le sieur Antoine de Beauterne[1], lieutenant des chasses, porte-arquebuse de Sa Majesté, fut envoyé en personne. C’est lui qui, désormais, prit la direction des battues transformées en une véritable petite guerre.

Dans de telles conditions l’Iconographie évolue, afin de se tenir à la hauteur de la situation.

Or, depuis le xviie siècle, existait ce qu’on appelait techniquement du nom générique d’imagerie demi-fine. Celle-ci s’adressait non plus au menu peuple, mais à un public moyen, déjà sélectionné bien qu’encore nombreux, et qui se montrait plus exigeant. Aussi les estampes à lui destinées, sans prétendre au grand art, étaient-elles du moins traitées avec quelques connaissances de métier et présentées en un tirage meilleur. Parfois même on les ornait d’un coloris franc et vif, qui en augmentait l’attrait. Le siège de cette production spéciale se trouvait principalement à Paris, rue Saint-Jacques. Et les Basset, les Mondhare s’y étaient fait notamment une réputation.

À l’éclosion simpliste du début succéda bientôt cette seconde floraison. Nous lui devons bon nombre de pièces offrant des compositions mouvementées dans un décor pittoresque[2]. Elles sont devenues rares, et l’amateur de nos jours y goûte, avec l’amusement des scènes représentées, une intime sensation d’art.

  1. Note Wikisource : erreur de l’auteur ici, il fait référence à François Antoine sous le nom « Antoine de Beauterne », un titre de courtoisie porté par son fils cadet Robert-François.
  2. Certaines d’entre elles portent une bordure de petits sujets se voisinant, et qui représentent des épisodes successifs complétant la scène importante. On peut voir là déjà le prototype de ces images d’Épinal, lesquelles, plus tard, nous donneront des histoires entières et suivies : Petit Poucet ou Barbe-Bleue ; encore aussi des motifs variés qu’unit une idée générale, comme : Scènes champêtres ou bien : Caricatures.