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naïves pouvaient-elles tenir devant l’examen facile de la Bête une fois tuée ?

Ces descriptions et ces opinions diverses sur la nature, les formes et le nombre de ces monstres, n’entament en rien la certitude de leur existence qui plane au-dessus de toute négation, au-dessus même de toute discussion.

Comme aussi la critique la plus exercée n’essaiera point de jeter même l’ombre d’un doute sur leurs méfaits.

Qui donc, après les preuves que l’on vient de lire, oserait nier le trépas malheureux de tant de victimes ?

Hélas ? pourquoi cette époque ne fut-elle pas un rêve pénible, un lourd cauchemar, au lieu d’être une douloureuse réalité ?

Que de larmes versées et que de deuils dans les familles ! Que de places vides au foyer et dans le cœur des mères qui gardèrent tout le reste de leur vie ce triste et poignant souvenir ! Quelques-unes, dit-on, serraient précieusement, en un coin mystérieux, ce qui restait des vêtements de l’enfant dévoré, et pendant de longues années, au retour de cette date funeste, elles les sortaient pour les arroser de leurs larmes, tant était vif et profond le sentiment de leur douleur !

Et si plus de cent hivers de neiges et de tourmentes ont pu laver les taches sanglantes qui maculaient au coin des bois la place où furent dévorées ces victimes, ils n’ont pu en effacer le souvenir de la mémoire des habitants. Ces endroits maudits furent marqués, on les montre encore avec une précision étonnante. Et aux jours d’hiver, la nuit venue, quand toute la maisonnée fait cercle autour du foyer, la vieille grand’mère, de sa voix tremblante, raconte comment un enfant de la famille fut tristement dévoré. Elle pleure, sa mère à elle, un témoin oculaire, pleurait en le racontant, — les petits se serrent l’un contre l’autre, en frissonnant, se tiennent par la main, comme pour se prêter assistance, et ce récit, qu’ils savent tous pour l’avoir tant de fois entendu, les pénètre toujours de la même émotion.

Quel fut le nombre exact des victimes ?

Il est malaisé de donner un chiffre précis.

Dans le recueil de Magné de Marolles, déposé à la Bibliothèque du Roy, se trouve un « Journal des ravages de la Bête du