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échouer piteusement en pays de France, où il n’avait pu tuer un seul loup !

Il entendait déjà les railleries des courtisans, jaloux du choix qui avait été fait de lui. Il se voyait la risée de tout le royaume. Et puis, son humiliation ne rejaillirait-elle pas sur le Roi qui l’avait personnellement désigné pour cette mission dans laquelle il semblait près d’échouer ?

Dans un de ses rapports, on voit se refléter les inquiétudes qui tourmentaient son esprit :


« Le secours de la louveterie n’est pas encore arrivé, et je crains avec juste raison que la saison ne nous permette pas longtemps de pouvoir nous en servir, car il commence à geler et à y faire des brouillards assez tôt pour avancer notre retour, sitôt que nous ne pourrons plus opérer.

« Le seul honneur m’a conduit dans ce pays-ci par la confiance particulière dont Sa Majesté et M. le Comte de Saint-Florentin m’ont bien voulu honorer. Un motif si respectable m’a porté à faire les plus grands efforts pour m’en rendre digne, et j’en ai rien fait à ce sujet puisque j’ai eu le malheur de ne pouvoir pas réussir jusqu’à présent. »


Ses angoisses, d’ailleurs, étaient partagées par sa famille. On lit dans une lettre, plus loin citée, de son épouse :

« Après une inquiétude mortelle, mon très cher bon amy, et la plus grande tristesse dont j’ai été pénétrée par votre dernière lettre où il paraissoit qu’il n’y avoit plus rien à espérer de ce triste état… etc[1]. »


Il est bon de ne jamais perdre entièrement confiance, car c’est parfois au milieu des tristesses de la noire désespérance que l’on entend sonner l’heure joyeuse du triomphe.

Cinq jours après, le 21 septembre, M. Antoine tentait une expédition en Auvergne, dans les bois des Chazes. Cette heureuse journée allait changer les anxiétés de la veille en une victoire inespérée.

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 1736. Lettre du 30 septembre 1765.