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neuf heures du soir, ses parents allèrent à sa recherche à l’endroit où elle gardait ses bestiaux. On ne trouva que ses coiffes et une bayonnette fichée en terre à côté de ses sabots. Le lendemain, sur le bord du bois, on découvrit le corps de la victime en partie dévoré, et rendu méconnaissable. C’était la troisième de ce village.

Ces restes défigurés furent apportés à la maison où, suivant un récit transmis par la tradition, eut lieu une scène poignante de désolation et de désespoir. La mère, dans l’égarement de sa douleur, s’était jetée sur ces débris ensanglantés qu’elle serrait convulsivement en poussant des cris déchirants. On ne pouvait l’arracher à cette étreinte. Le père gémissait de n’avoir pas su garder auprès de lui sa fille, au lieu de l’exposer à la dent meurtrière du monstre.

Et avant que la tombe la reçût, la victime resta quelques heures dans cette demeure, recouverte d’un voile. Les parents, les amis, hommes, femmes et enfants, le plus grand nombre arrivés des villages voisins, venaient soulever un coin du voile et la regarder une dernière fois. Cette masse informe et sanguinolente, ces lambeaux de vêtements déchiquetés que raidissaient des taches noirâtres de sang coagulé, ces débris sans nom — tout ce qui restait de cette jeune fille pleine de vie la veille — pénétraient d’horreur tous les assistants. Et là, chacun s’apitoyait sans mesure en cris aigus, en sanglots déchirants, renouvelés chaque fois qu’entrait un nouvel arrivant. On ne pouvait résister à cette émotion contagieuse, et sur ces faces d’hommes endurcies par les intempéries et les rudes labeurs de la glèbe, on surprenait des larmes furtives qu’ils étaient impuissants à retenir.

On peut juger combien le monstre était maudit et combien la terreur était à son comble ! Pauvres gens que la misère accablait lourdement, que la douleur étreignait si durement et que la Bête infernale menaçait toujours. Personne ne pourrait donc les délivrer de ce fléau !