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l’emprisonne sans merci. Il s’appuie sur l’autre pied, mais l’autre pied s’enfonce à son tour, et notre homme, pour gagner un sol plus ferme, n’a d’autre ressource que de s’étendre, s’aider de ses mains, et marcher à la façon des animaux. Une fois sa victime sortie, la pelouse perfide reprend son aspect habituel, et ne laisse rien deviner de ce qui vient de se passer.

Et quand le cavalier, lancé à fond de train, jetait son cheval dans ces fondrières invisibles, quelle épaisseur de boue devait couvrir, des pieds à la tête, l’homme et la bête, et quel danger pour eux de périr étouffés sans pitié, s’il n’y avait là des mains vigoureuses pour leur porter secours !

La Bête avait une préférence marquée pour ces passages, lorsqu’elle était poursuivie. Par un adroit détour elle évitait facilement ces pièges où les chevaux venaient s’embourber inévitablement.

À la chasse du 22 décembre 1764, les deux dragons qui la serraient de près et allaient la sabrer n’avaient-ils pas été arrêtés par un bourbier ? Naguère encore, M. Denneval n’avait-il pas donné dans un de ces pièges invisibles ? M. Antoine, à son tour, ne venait-il pas, grâce à son inexpérience, de recevoir une dure leçon ? Enfin le garde Pélissier ne s’embourbait-il pas de telle sorte qu’il croyait périr, et cet événement ne fut-il pas cause que les Chastel furent mis en prison, le garde les ayant accusés de lui avoir joué un mauvais tour ?

Cette sagacité du monstre faisant ainsi tourner à son avantage les difficultés du sol, excitait au plus haut point l’étonnement terrifié des indigènes. Il n’y avait plus à en douter, cet animal était sorcier et c’est surtout la nuit qu’il devait être difficile d’échapper à sa dent meurtrière.


« Je suis désespéré que malgré que j’offre douze livres au premier habitant qui viendroit m’avertir à l’instant de l’endroit où il y auroit eu quelqu’un de dévoré, et même douze livres de plus, si par cet avertissement le loup étoit tué, tout cela n’a pas pu jusqu’à présent engager aucun de ces habitants, poltrons comme des poules, à marcher la nuit même à si peu de distance des endroits où nous sommes par la frayeur mortelle dont ils sont remplis de ladite Bête qu’ils croient la plupart être sorcière.