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loups font leurs tanières, de nombreux bourbiers ou molières font encore courir de grands dangers aux voyageurs ; les ruisseaux, habituellement guéables, grossissent considérablement par les grandes pluies ; le pays est pauvre, mais les habitants se prêtent de bonne volonté aux battues. Il faudrait un limier de plus et un grand nombre de chiens, il indique à qui il faut les demander ; il supplie M. de Choiseul de lui envoyer douze bons et sages sergents avec un officier d’infanterie pour commander les grandes et les petites battues ; il demande enfin l’assistance de tous les bons chasseurs du royaume, « et nous les prions en cette qualité de vouloir bien nous accorder leurs bons avis par écrit, sur la conduite des chasses que nous faisons[1]. »


Pour qui connaît ces contrées, les craintes que causaient à M. Antoine les difficultés des lieux et la frayeur que lui inspiraient les nombreux bourbiers ou, suivant son expression, « les molières[2] » particulières à ces montagnes, étaient vraiment justifiées. On ne se doute pas de ce que ces fondrières ont de perfidie et de dangers pour les personnes inexpérimentées. Dans les plis serrés qui se creusent au pied des sommets divers de la Margeride, entre les futaies ou les taillis, s’allongent d’étroites prairies, de sinueux pacages, revêtus d’un fin gazon court et serré. Çà et là de larges plaques, souvent circulaires, d’une végétation encore plus drue, ponctuent d’un vert plus intense la teinte monotone de ces pelouses rétrécies. C’est sous ce gazon plus verdoyant que se cachent les insidieux bourbiers. Le chasseur plein de confiance et le nez au vent, avance devant lui sans hésiter. Soudain il voit, sous son poids, le feutre épais sur lequel il marche se mouvoir en des ondulations significatives. Il s’arrête et veut revenir sur ses pas. C’est bien un peu tard. Sous le tapis de verdure qui s’est traîtreusement entr’ouvert, son pied plonge déjà dans une vase gluante et tenace qui

  1. Archives du Puy-de-Dôme. Inventaire, p. 82.
  2. « Las mouleyras » dans le langage local. C’est autour de ces molières que croît cette plante, si rare en France, le « Betulanana » (bouleau nain), que les botanistes viennent cueillir, au cours de la belle saison. Commun dans les steppes de Russie, cet arbuste minuscule ne se trouve que dans ce recoin des Margerides, entre Chanaleilles et Servières.