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« Le 11, l’Intendant d’Auvergne envoie à M. Antoine dix-sept harpons, armes très propres à retenir la Bête, si on pouvait l’approcher d’assez près pour lui en faire sentir la pointe : puisque c’est un fer très-large en langue de serpent avec deux crochets qui retiendraient la Bête, si elle voulait échapper après le coup porté. Cette arme est ajustée au bout d’un gros bâton de la longueur de cinq pieds, où on a ménagé à un pied et demi de l’harpon une espèce de boule, faisant un même corps avec le bâton, afin que celui qui s’en servira puisse s’en servir plus aisément pour tirer la Bête à lui, et une autre boule plus haut pour avoir un point d’appui ferme pour l’enfoncer avec plus de force. »


Ce sont ces harpons ou piques spécialement agencées et dont M. Antoine avait donné le modèle, que l’on ne confiait point à tout venant, mais à une seule ou tout au plus à deux personnes choisies dans chaque paroisse infestée [1]. À cause du danger que pouvait faire courir leur forme particulière, il n’était point permis de les mettre entre les mains des enfants.

Il fallait bien une certaine naïveté pour croire que ce monstre, dont les instincts de conservation étaient depuis longtemps connus, viendrait se mettre à portée de ces harpons, alors qu’on avait eu jusqu’ici tant de mal à l’approcher d’assez près pour lui tirer fructueusement un coup de fusil.

Sans doute, à diverses reprises, des enfants atteignirent et blessèrent avec leurs baïonnettes la bête dévorante ; c’est que celle-ci ne redoutait point les coups que pouvaient lui porter de si faibles bras, tandis qu’elle se gardait soigneusement des hommes armés. Aussi les événements montrèrent bien le peu de

  1. Les paroisses qui les recevaient en donnaient un reçu et nommaient ceux à qui on devait les confier :
    « Comme consul de la paroisse de Pébrac, reconois avoir reçut deux lances de Mgr l’Intendant de Clermont et par la main de M. Antoine, feaite ce 14 juiliet 1765. Couret. »
    « Je soubigné (soussigné) comme consul de Pébrac que toute la paroisse conseant que Vidal Vallet de Pébrac qu’ils ont la nomet pour obeyr les ordres du Roy pour aporter la lance tout le quant que M. Antoine le commandant pour feaire la chasse, feaite le 14 juiliet 1765. Couret. » (Archives du Puy-de-Dôme, C. 1737.)