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Je les regarde fuir longtemps, le cœur serré.
Moi qui jadis gardais les ruches de mon père
Et savais la chanson qui fait descendre à terre
         L’essaim le plus exaspéré,

Je n’ai pu recueillir les divines hôtesses
(Ma mère m’apprenait qu’elles viennent du ciel)
Dans un chalet fleurant le bois neuf et le miel,
D’où leur rumeur joyeuse eût bercé mes tristesses,

Et d’où leurs bataillons armés (que savons-nous ?
« Elles portent bonheur, » disait aussi ma mère)
Repousseraient loin de mon seuil l’Intruse amère
          Dont le regard rompt les genoux ;

Tandis que leur effort ardent, fiévreux, sans trêve,
Pour récolter un miel à d’autres destiné,
Ferait honte de son labeur abandonné
Au poète vieilli qui renonce à son rêve,
Au semeur qui s’endort sans avoir moissonné.