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le Pape en latin, et que l'un d'eux dit, Rex mihi mandavit, je serois suffisamment averty par ses discours qu'il xxxxxxx prendroit le mot de Rex non pour Roy en general ; mais pour quelque Roy en particulier. Que si de plus j'apprenois que celuy qui parleroit ainsi ne seroit pas l'Ambassadeur d'Espagne, je serois encore suffisamment averty que ce ne seroit pas le Roy d'Espagne ; mais si enfin j'apprenois que c'estoit l'Ambassadeur de Portugal, je ne serois pas bien moins bien averty que le mot de Rex auroit signifié dans sa bouche le Roy de Portugal, que s'il avoit definy ce mot avant que de haranguer.

C'est pourquoy il me semble qu'on peut faire ces 3. ou 4. regles.

1. Quand on est suffisamment averty que celuy qui parle, ne donne pas a un mot sa signification ordinaire, mais une particuliere, on doit juger de la verité ; et de la fausseté de son discours, non par la signification ordinaire de ce mot, mais par sa signification particulière.

Ainsi on ne doit pas accuser de fausseté celuy qui disoit que le Mazarin auroit ses hemispheres dans le Parlement, parce qu'il estoit faux qu'il eût dans le Parlement des moitiés de spheres, mais il falloit reconnoistre qu'il disoit vray (quoique d'une maniere impertinente) s'il estoit vray que le Mazarin y eût ses emissaires.

Autrement quoy que les geometres eussent averty de l'usage auquel ils veulent prendre les mots, on les pourroit toujours chicanner, si on les vouloit prendre dans la signification ordinaire : il est vray qu'il y a quelque chose d'impertinent dans les discours de ceux qui prennent les mots par beuvüe les uns pour les autres, parce qu'on voit bien qu'ils ne le font pas a dessein comme les geometres, mais par une pure ignorance du langage commun des hommes, ce qui donne sujet de rire a cause de la surprise. Mais il faut toujours avouer que ces paroles dans leur bouche signifient ce qu'ils ont voulu qu'il signifiassent.

2e Regle. Si on est suffisamment averty que celuy qui parle ne prend pas les mots dans leur signification ordinaire, et que neanmoins on ne sçache pas qu'elle est la signification particulière qu'il leur donne il ne faut pas pour cela les vouloir entendre dans la signification ordinaire, mais avoüer qu'on ne sçait pas ce qu'il a voulu dire.

3e Regle. Que s'il nous est important de sçavoir le sens des mots de cet homme, nous ne le pouvons rechercher, qu'en devinant sa pensée, et ainsi toutes les recherches que nous ferons ne doivent point se terminer a la verité des choses, d'où la signification particuliere qu'a eu cet homme, ne dépend point, mais a l'opinion, et a la pensée, de celuy qui a parlé, d'où elle dépend uniquement.

Sa pensée peut bien dépendre de la verité des choses, comme si j'estois asseuré d'ailleurs qu'un homme ne seroit point trompé, en ce qu’il m'a dit d'une maniere que je n'aurois pas bien comprise