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que j’ai mentionnés, un peu au hasard de ma mémoire, le professeur Grasset, le maître de Montpellier, définissait son attitude intellectuelle dans une formule frappante : « Ayons, » disait-il, « un laboratoire et un oratoire, et que l’on ne nous empêche pas de passer dans l’autre ». L’originalité de Pascal — M. Chevalier a dégagé cela bien nettement — réside dans ce trait que le passage du laboratoire à l’oratoire est chez lui très visible. Ses raisons de croire, telles que nous les exposent ses Pensées, tiennent étroitement à la discipline intellectuelle qui l’a conduit à ses découvertes fameuses. La soumission à l’objet demeure son constant principe. C’est un réaliste et qui professe ce que M. Chevalier appelle, d’une expression très heureuse : « le primat de l’expérience. » Mais se soumettre au fait, quand il s’agit d’étudier la vie humaine, c’est reconnaître le caractère spécial du fait humain, cet ensemble unique de phénomènes psychiques : intelligence, amour, volonté responsable. Ce n’est pas expliquer ce fait que de le réduire à ses conditions biologiques, et celles-ci à leurs conditions physico-chimiques, c’est le supprimer. Ainsi Renan, lorsqu’il insinuait que l’humanité n’avait peut-être pas, dans la création, plus d’importance qu’un lichen, Pascal, lui, le pose avec une vigueur singulière, ce fait humain, notre âme, pour tout dire d’un mot, en face de l’Univers qui peut briser, écraser ce roseau pensant ; mais, je le répète, non pas l’expliquer. Car l’Univers est inférieur à l’homme, parce qu’écrasé et brisé, l’homme sait qu’il meurt, et, vous vous rappelerez l’admirable cri, « l’avantage que l’Univers a sur lui, l’Univers n’en sait rien. » Vous avez, sans aucun doute, entendu le philosophe qui fut votre maître, M. Chevalier et mon respecté con frère, Emile Boutroux, répéter cet axiome qui lui était familier et qu’il considérait comme la base inébranlable de toute conception scientifique des choses : « L’inférieur ne peut pas produire le supérieur ». Cette phrase, si lourde de sens, me revenait en suivant avec vous la marche dialectique de l’esprit de Pascal vers la seule vérité qui donne une pleine signification à notre être tout entier.