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l’esclavage y met du sang. Quiconque fait alliance avec Dieu, sacrifie à Dieu tout ce que réprouve Dieu ; or Dieu réprouve l’esclavage. La conversion n’est pas réelle, si le cœur n’est pas changé, la vie transformée, le péché banni !

Palpitant, je suivais chaque mouvement de maître Thomas. Mon espoir était faible. Je ne sais quelle défiance me hantait. En dépit de ses gémissements, de sa chevelure ébouriffée, de la rougeur qui couvrait son visage, maître Thomas ne me semblait pas vaincu. Tout à coup, une larme glissa sous la paupière, descendit sur la joue, puis s’arrêta, comme incertaine du chemin qu’elle allait tenir. Cette larme hésitante, jeta dans mon esprit un doute sur toute la transaction. Rien de ferme, rien de franc ! me disait-elle. Et elle disait vrai. Maître Thomas resta maître Thomas : même homme, même égoïsme, même avarice, même dureté ; avec cette roideur, avec cet orgueil anguleux, que lui communiquait sa sainteté nouvelle ! Plus que jamais, les pratiques extérieures abondèrent ; plus que jamais, sévirent les exactions. Ce n’étaient chez lui que pieux meetings, discours fervents, hymnes à grande voix. — Et l’alimentation restait insuffisante, le cœur des maîtres endurci, et nous étions battus.

Aucun des individus — chrétiens je le veux croire — qui visitaient le capitaine, ne s’inquiétait ni de notre corps, ni de notre âme, ni de nos fers. J’en excepte le révérend George Cookman. Ah ! pour celui-là, corps et âme lui étaient sacrés. Abolitionniste de cœur, pas un noir qu’il n’allât chercher, pas un qui ne le chérit.