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voiturés, sans compter les steamers, pleins jusqu’aux bords.

Un peu en retrait, s’élevaient les tentes de la gentry, rivalisant d’élégance, de richesse et d’ampleur. Après elles, s’en dressaient de plus modestes ; puis venaient les wagons couverts, les charrettes à bœufs, les véhicules de toute espèce, qui nuit et jour servaient d’abri à leurs hôtes ; à l’écart enfin, les cuisines en plein vent, où rôtis, potages, fritures, étuvées, pénétraient l’air de savoureux parfums.

Et les esclaves ? — demandera-t-on.

Les esclaves — pour eux ni bancs ni siéges — s’entassaient comme ils pouvaient dans une étroite enceinte : le parc aux noirs.

Prédications, chants, supplications se succédèrent. Le service proprement dit terminé, un éloquent appel retentit. Quelques pasteurs circulaient dans les rangs, pressant les âmes de se convertir. On conçoit mon émotion, lorsque je vis l’un d’eux s’approcher de maître Thomas, celui-ci se lever après un court entretien, se détacher de l’auditoire, et venir s’agenouiller dans le banc du repentir ! — Il n’était permis à aucun noir d’y pénétrer ; mais je me faufilai en avant, les regards fixés sur mon maître.

— S’il prend la religion, pensai-je, il émancipera !

Jugeant d’après mes notions personnelles, se convertir, c’était renoncer au mal, c’était pratiquer le bien. Nous autres noirs, notre conscience y voyait clair. Nous avions sur ce point une conviction absolue : Nul ne peut entrer au ciel avec du sang sur sa robe ; or