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envers les voisins semblait d’une plus difficile solution. Vous comptez sans la logique de l’affamé… et du nègre : — Je suis esclave de maître Thomas, bien ! Mais qui donc a prêté main-forte à maître Thomas pour m’asservir ? qui m’a ravi la liberté ? qui a rivé mes fers ? la société. Or, la société faisant avec mon maître un seul et même corps, j’ai sur ses biens à elle, les droits que j’ai sur ses biens, à lui ! Maître et société m’ayant, sous prétexte de leur avantage particulier, volé mon corps, mon âme, ce qui m’était le plus précieux ; j’ai droit de prendre chez eux, ce que réclame mon avantage personnel. Dès que l’esclave appartient à tous, ce qui appartient à tous appartient à l’esclave.

Ainsi s’obscurcissaient mes notions morales. S’en étonnera-t-on ? L’esclavage tue la moralité. Pour l’esclave, voler n’est plus un péché, tuer n’est plus un crime ; les maîtres, qui arrachent l’homme à sa patrie, l’enfant à sa mère, la femme à son mari ; qui bâtonnent, qui pendent, qui font sauter la cervelle, lui ont appris cela.


M. Thomas Auld n’appartenait pas, par droit de naissance, à l’oligarchie des propriétaires de noirs. Ses deux mariages successifs, lui avaient seuls donné cette dignité.

De tous les maîtres, les parvenus sont les pires. Parmi ceux-là, M. Thomas Auld l’emportait en égoïsme, en tyrannie, en rodomontades ! Volontiers cruel, je l’ai dit, sa cruauté tortueuse et lâche, dénotait plus de bassesse que de vigueur. Les esclaves prisaient très-