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leurs vices… heureux effet de cette touchante union !

À Baltimore, je n’avais jamais souffert de la faim ; à Saint-Michel, j’en réalisai les tortures. Si affamés étions-nous, mes compagnons d’esclavage et moi, que force nous fut d’emprunter aux garde-manger des maîtres et des voisins, de quoi ne pas mourir.

Ma conscience grommelait. Voici par quelle suite de raisonnements je la fis taire… ou je m’assourdis. — Ma personne, tout comme mon travail, étant propriété du maître ; les privations qu’il m’imposait, diminuant mes forces, par conséquent la somme de mon travail ; prélever sur ledit garde-manger, les aliments nécessaires à restaurer l’un et accroître l’autre, ce n’était pas voler ; c’était passer de la main droite à la main gauche — qui toutes deux appartenaient au maître — une fraction de sa propriété.

Il y avait transposition, il n’y avait pas larcin.

Prenez deux cuves ; versez dans celle-ci le contenu de celle-là ; le maître ne s’en trouvera pas lésé, puisque l’une et l’autre cuve sont à lui !

Ni la loi divine, ni les lois humaines ne sanctionnent l’argument, je le sais. Mais la souffrance parlait plus haut qu’elles. Et les génuflexions de nos maîtres, alors que, nous affamant — les armoires regorgeaient de pain moisi — ils priaient dévotement Dieu soir et matin : « de les bénir dans le grenier, la cave, le champ ; puis, l’heure venue, de les recevoir dans son royaume ! » ces oraisons n’étaient pas faites, on en conviendra, pour éclairer mon âme ou pour augmenter ma foi.

La question du vol envers le maître réglée, le vol