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de toute oppression : orgueil, avarice, despotisme.

Et maintenant, armé de pied en cap, je pouvais tenir tête à tout partisan du système, qu’il fût blanc ou qu’il fût noir. Car il existait, le croira-t-on ? parmi les nègres du Sud, quelques âmes égarées pour lesquelles accepter l’esclavage, c’était se soumettre à Dieu !

Et maintenant aussi, s’était réalisée la prédiction du maître : J’avais lu, et je n’étais plus ce joyeux garçon plein de rires, de chansons, d’espièglerie, qu’avait déposé la mer sur les quais de Baltimore. Le rayon de lumière qui s’était glissé dans mon donjon, me montrait : courbache pour mon dos, menottes pour mes poignets, fers pour mes pieds ; et le bon maître, auquel je devais tout cela !

Yeux ouverts sur les profondeurs de l’abîme, saignant sous l’aiguillon du tourment, je n’apercevais nulle issue. La liberté ! elle m’apparaissait partout, elle prenait toutes les formes, elle parlait tous les idiomes. Chaque souffle qui frôlait mon front, chaque nuée qui voguait au ciel, chaque aile d’oiseau qui s’enlevait dans les airs : Liberté, liberté, liberté !

Plus rayonnante était la création, plus doux se faisaient ses sourires, plus s’accroissait ma désolation.


Un tel état d’esprit, n’améliorait guère les relations entre ma maîtresse et moi. Elle ne comprenait pas plus mes regards chagrins, que Balaam ne comprenait l’immobilité de son âne. À l’exemple du prophète, elle me maltraitait. Pauvre maîtresse, elle ne voyait pas l’ange, debout, épée nue, sur le chemin !