Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour que l’excellence native de son caractère, s’effaçât et se perdit.


À force d’entendre mistress Sophie lire tout haut l’Évangile, ma curiosité s’était éveillée.

La lecture ! quel mystère ! — De la curiosité au désir de lire moi-même, il n’y avait qu’un pas ; je le franchis. J’osai demander à ma maîtresse de m’enseigner cet art merveilleux. Elle y consentit, et je m’appliquai si bien à l’alphabet, qu’avec une incroyable promptitude, j’épelai sans hésiter les mots de trois, même de quatre lettres !

Mistress Sophie, aussi fière de mes progrès que si Tommy les avait faits, en informa son mari. Tout épanouie, elle lui dit mon intelligence, mon zèle, comment elle allait me pousser !

Alors, apparut dans mon ciel de Baltimore le noir nuage, précurseur de tant de foudres et d’ouragans.

Maître Hugues, consterné, procéda, sans perdre un instant, à l’enseignement de sa femme. Il s’agissait de lui inculquer les vrais principes de l’esclavage : les règles à observer, dans l’aménagement du bétail noir.

— Accordez un pouce au nègre, il prendra l’aune. Apprenez-lui les lettres aujourd’hui, demain il écrira ; après-demain il se sauvera. Qu’un nègre parvienne à lire la Bible, il est perdu pour l’esclavage. Le nègre ne doit savoir qu’une chose : la volonté de son maître ; n’en apprendre qu’une autre : à obéir. Ce qu’il y a de plus vient du malin. Sans compter que l’instruction, ferait de l’esclave un désespéré.