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tuées, se dressaient parmi les rangs. M. Austin Gore était une de celles-là. Le sérieux du maître se combinait chez lui avec les malignités de l’agent servile. Ni les ridicules fanfaronnades, ni les mesquines ambitions de la clique : un air majestueux, une calme possession de soi, une austérité du regard, faits pour dompter plus résistantes natures que les malheureux accoutumés dès l’enfance à s’affaisser devant le fouet.

Mieux qu’aucun autre, M. Gore s’entendait à extraire l’impudence du moindre mot.

Accusé : fustigé. L’éclair de sa noire prunelle, l’âpreté de sa voix répandaient la terreur. D’autres surveillants, pour brutaux fussent-ils, s’apprivoisaient parfois jusqu’à tolérer une plaisanterie, jusqu’à laisser s’épanouir un sourire. M. Gore, jamais. Froid, distant, inapprochable, toujours : Le surveillant de la plantation Lloyd.

Sa volonté d’airain, son inaltérable sérieux, son mépris du péril, auraient fait de lui le plus admirable chef de pirates. Le principe de l’esclavage une fois posé, il allait au bout des conséquences, sans reculer d’un pas.

Parmi les esclaves du colonel, un jeune homme, Bill Denby, puissant gaillard, plein de sève, pétillant d’esprit, offensa de je ne sais quelle façon M. Gore. Le fouet devait s’ensuivre. M. Gore procédait à l’exécution, lorsque d’un bond, Bill Denby lui échappa, s’enfuit, plongea dans la crique, et s’y tint droit, l’eau jusqu’au menton.

— Sors ! crie le surveillant

L’esclave ne bouge pas.