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Durant l’été, trois des filles du colonel habitaient, avec leurs maris, la Grande Maison. Ces trois couples usaient largement du privilége de fustiger les noirs. Rarement on amenait un cheval hors des écuries, sans qu’il y eût quelque faute à relever : grain de poussière sur sa robe, poil hérissé vers le sabot, faux pli dans la crinière, port de tête disgracieux ; cela et autre chose ! Pour injuste que fût la critique, vieux Barney devait l’accepter, debout, chapeau bas, lèvres scellées, sans qu’un mot d’explication s’en échappât.

Dans un État libre, le serviteur injustement réprimandé peut dire à son maître : — Monsieur, puisqu’en dépit de mes efforts, mon service ne vous convient pas, je vais chercher ailleurs !

L’esclave ne peut, ni se justifier, ni s’en aller. Et la courbache a toujours le dernier mot.

Le colonel et Barney, étaient tous deux avancés en âge. Celui-ci front chauve, celui-là couronné de cheveux blancs ; l’un destitué, l’autre puissant : égaux devant Dieu.

— Découvre-toi ! — fit un matin le maître.

Il fut obéi.

— Ôte ta jaquette, vieux coquin !

La jaquette fut ôtée.

— À genoux !

L’esclave, épaules dépouillées, crâne reluisant au soleil, ploya ses vieux genoux sur la dure terre.

Alors, ce maître, au service duquel il avait dépensé le meilleur de ses forces, le plus long de sa vie, levant la cravache, lui en administra trente coups.