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grâce, aurait osé prétendre qu’en ce séjour enchanté, quelque chose manquât à quelqu’un ? La Grande Maison ne regorgeait-elle pas d’invités heureux ? Être esclave d’un tel maître, le nègre pouvait-il aspirer à plus glorieuse fortune ?

Hélas, biens énormes, abondance, splendeurs et loisirs, ne faisaient pas le bonheur. Tel noir, couché sur son ais de sapin, pauvrement enveloppé de sa maigre couverture, dormait plus solidement que le voluptueux enfiévré, dont les membres s’enfonçaient dans l’édredon. La Grande-Maison abritait des maîtres invisibles : passions, vices, maux, dyspepsie, goutte, rhumatisme, fièvre, mélancolie ! Or le fouet de ces maîtres-là, déchirait sans pitié leurs esclaves à eux : NOS SEIGNEURS.


Je fus de bonne heure, mis en contact avec ces misères et ces violences.

Le vieux Barney, avait la surintendance des écuries. Mon goût pour les chevaux m’amenait souvent près de lui.

Barney, digne, respectable et respecté, tenait ses fonctions à honneur. Vétérinaire d’instinct et d’expérience, nul comme lui ne savait droguer un cheval. Rien, toutefois, de moins enviable que son poste ; car rien, en matière chevaline surtout, n’égalait les exigences du colonel, sinon leur déraison. Une négligence, réelle ou supposée, décrochait les foudres ; elles éclataient en effroyables menaces sur la tête du vieux Barney.