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naient du libre continent africain. D’autres parlaient de leur père, de leur mère, libres jadis sur terre africaine.

Tout cela fermentait en moi. À dater de l’heureuse fuite d’oncle Noé et de tante Jenny ; s’il y avait encore, dans ce jeune garçon que j’étais — 7 à 8 ans — un esclave de fait, il y avait un fugitif en germe.

Passant mes journées à jouer près des habitations, loin des champs de maïs et de tabac, où d’ordinaire, esclaves et conducteurs entraient en conflit ; nul événement, jusqu’au supplice d’Esther, n’avait appelé mon attention sur cet effroyable côté de l’esclavage.

Un fait, plus répugnant peut-être, vint me troubler.

Nellie, la femme sur laquelle allaient s’exercer les cruautés dont il s’agit, appartenait, non au Captain Aaron, mais au colonel Lloyd. Épouse d’un des matelots les plus appréciés du sloop, blanche ou peu s’en faut, elle était mère de cinq enfants. — Son crime ? Impudence. — Mot élastique, sujet à cent définitions, à cent applications, aussi arbitraires que l’arbitraire caprice du supérieur. Un regard, un geste, un sourire, une intonation, un soupir : Impudence ! — Or, on comprend ce qui s’ensuit.

Spirituelle, fière, énergique, Nellie avait dans les veines, même sang que le colonel. Elle le savait. Rien ne manquait donc, pour faire d’elle une impudente.

Le jour dont je parle, ses cris m’attirèrent. M. Seveir, le surveillant, tentait de vains efforts pour la traîner vers un tronc d’arbre, et l’y attacher. Tous deux saignaient au visage, car Nellie se défendait. Trois des enfants, gamins de huit à dix années, avaient virilement