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Captain Anthony, quand s’emparait de lui le diable, n’abandonnait à nul autre le privilége de punir.

Esther, l’aide de tante Kathy, svelte, gracieuse, presque blanche, possédait la beauté : cette malédiction de toute femme esclave. — Ned Robert, fils d’un favori du colonel, aimait Esther. Maints propriétaires d’esclaves auraient, et pour cause, favorisé cette affection. Captain Aaron y opposa son veto. Ordonnant à Esther de rompre avec Ned, il la menaça, en cas d’insoumission, d’un châtiment sévère. Les amoureux n’en tinrent compte. Quant aux motifs du Captain, on les devine.

La crainte de Dieu, l’espoir du ciel, défendaient parfois la femme esclave contre les menées du tentateur. C’était rare ; toujours au pouvoir du surveillant, la dégradation constituait pour elle l’état normal. — L’esclavage n’entend pas autrement les rapports des deux sexes. Et malgré tout, il y avait, grâce à Dieu, des époux qui gardaient la foi.


Revenons au Captain. — Désobéi, il se voulait vengé.

Je fus témoin de l’exécution. C’était le matin ; si matin que personne dans la cuisine ou aux alentours, n’avait encore paru. Je dormais dans un réduit fermé de planches ; des cris déchirants me réveillèrent. Ce que je vais dire, je le vis à travers les fentes de la cloison. Esther, assise sur un banc, avait les poignets liés de cordes ; ces cordes, le bout enroulé à une poutre du plafond, lui tenaient les bras forcément levés. Ses épaules et son dos étaient nus. Derrière elle, Captain Aaron Anthony, courbache en main, lui labourait le