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Helen, esclave du Captain, était accourue d’une de ses fermes, pour demander justice et protection. — M. Plumner, le brutal dépravé qui gouvernait les noirs du Captain, avait grièvement outragé Helen. La malheureuse s’était sauvée, elle était venue à son maître ; elle arrivait exténuée, palpitante, suppliante, nu-pieds, nu-tête, les épaules et le cou déchirés, une large plaie au visage. — Le maître, pensais-je, va s’embraser de rage, foudroyer le bandit sous son courroux ! — Il n’en fut rien. D’un ton irrité :

— Ce que tu as eu ! — fit-il, se tournant vers l’esclave : — Tu l’as mérité. Pas un coup de trop ! Décampe ! Retourne d’où tu viens ! Sans ça, c’est moi qui t’arracherai du corps, ton reste de peau !

Je ne compris pas sur l’heure, la philosophie du traitement. Plus tard, elle m’apparut. Il s’agissait d’un principe : l’absolue autorité des conducteurs.

Pour brutal que fût l’accueil, dût même l’intendant doubler la peine soufferte, une juste plainte néanmoins (quand l’esclave avait assez d’énergie pour la formuler) amenait quelque adoucissement dans les procédés des autocrates subalternes. Leur bras, moins prompt à lever le fouet, labourait moins profondément les chairs de la victime.

Bien que repoussés de leurs maîtres, les esclaves ne les haïssaient pas comme ils abhorraient leurs conducteurs et leurs surveillants. Les maîtres avaient beau dépasser parfois ceux-ci en barbarie, manier sans pitié le nerf de bœuf, estropier ou tuer à plaisir : le Maître restait enveloppé d’une auréole de respect.