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jambe plus courte que l’autre, incapable de travail, invendable sur le marché, oncle Isaac était vif, alerte, béquillant partout où il pressentait un malade à guérir, un conseil à offrir. Sa pharmacopée embrassait quatre articles. Pour les affections du corps : sels d’Epsom, huile de ricin. Pour les affections de l’âme : la Prière dominicale, plus trois ou quatre sanglées de bouleau !

Nous nous rendions chaque matin, mes camarades et moi, chez docteur Isaac, à cette fin d’y apprendre la prière en question.

Juché sur un tabouret à trois pieds, armé de la fameuse gaule (dont le bout nous atteignait toujours, quelque éloignés que nous fussions) le docteur criait : — À genoux !

Cela fait : — Notre Père ! commençait-il.

— Notre Père ! — répétait vivement le bataillon noir.

— Qui es aux cieux !

Ici, le bataillon hésitait, balbutiait, sur quoi docteur Isaac, allongeant sa gaule et nous en caressant le dos, remettait son armée au pas.

Prière et gaule me semblaient étrangement associées.

Que voulez-vous, chacun, dans le Sud, est saisi du besoin de bâtonner quelqu’un.


Mon épouvante, à l’endroit de Captain Anthony, s’était effacée. Au lieu de me guetter du fond de son repaire, de bondir sur moi pour me pulvériser, Captain semblait ignorer mon existence. Qu’étais-je ? Une tête de plus dans son bétail.