Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tante Katy cependant, et les négrillons, s’étaient éloignés. Je retournai vers l’âtre ; je m’y pelotonnai, l’estomac trop creux pour pouvoir dormir. — Tandis que je songeais, un épi de maïs, laissé par mégarde en un coin, frappa mes regards ; j’enlevai… pas mal de grains, je les fis rôtir sous les cendres, au risque d’être impitoyablement battu. Éclatés, odorants, je les plaçais en un joli tas sur l’escabeau, lorsqu’un pas s’avoisina.

Tante Katy ? — Non, ma mère, ma propre mère bien-aimée ! Oh ses bras, m’y enfouir, moi, misérable garçon abandonné !

Pourrais-je l’oublier jamais, sa fierté native, l’ineffable expression de ses traits, quand je lui dis ma détresse ? Pourrais-je l’oublier jamais, ce mélange d’amour et de courroux ? Comme elle répandit, d’un geste indigné, les grains de maïs ; comme elle les remplaça par un épais quartier de tarte au gingembre ! Quelle réprimande elle infligea, du haut de sa royauté de mère, à tante Katy !

Cette nuit-là, oh ! cette nuit bénie, j’appris que je n’étais pas seulement un enfant quelconque, mais l’enfant de quelqu’un.

Assis sur les genoux de ma mère, je me sentais plus puissant qu’un empereur.

Court fut mon triomphe. Accablé de sommeil, je me retrouvai le matin sans mère, à la merci de cette virago, dont l’ombre seule me glaçait d’effroi.

Ma mère avait franchi douze milles pour m’embrasser, douze milles pour retourner au travail. — Je ne