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La diète consistait en maïs grossier : diète est le mot. Parcimonieusement mesurées, nos portions laissaient plus d’un grain aux doigts crochus de tante Katy. — Il m’est arrivé, dévoré par la faim, tantôt de disputer quelques reliefs au vieux dogue Ralph, tantôt de suivre d’un pas leste Zoé, la fille de service, pour recueillir les miettes ou les menus os qui tombaient de la nappe, alors qu’elle la secouait devant poules, coqs et chats.

Tremper une croûte de pain sec dans l’eau où avait plongé le bouilli, c’était un régal ; sucer la peau desséchée de quelque jambon à moitié gâté, nous semblait un luxe inouï.


On le comprendra sans peine, tante Katy étant donnée, il m’arrivait souvent de l’offenser.

Elle avait adopté un mode facile de châtiment : elle m’affamait.

Je ne sais quel jour, en vertu de je ne sais quel grief, tante Katy me supprima déjeuner et diner.

Bien. À force d’énergie masculine, je tins bon jusqu’au soir. Alors, il faut l’avouer, la dignité s’évanouit, le courage s’affaissa. En guise de pitance, tante Katy, me foudroyant du regard, déclara, tout en coupant de larges tranches de pain et les distribuant aux camarades : qu’elle me tirerait le souffle du corps. J’avais espéré quelque apaisement de sa part, mais lorsque je vis le pain disparaître, les mâchoires de mes compagnons broyer la prébende et leurs visages s’illuminer, le désespoir l’emporta ; je fus derrière le mur de la cuisine, pleurer toutes les larmes de mes yeux.