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garda ce matin même, ce glorieux matin d’été, où nous prîmes le sentier de la forêt.

Douze milles, séparaient notre cabane de l’habitation du colonel. — Douze milles, c’était beaucoup pour mes petites jambes. Aussi grand’mère, vigoureuse en dépit des années, son noir visage encadré par les plis du turban éclatant de blancheur, le pas élastique et résolu, me jucha-t-elle plus d’une fois sur son épaule.

Chère, respectée grand’mère, bénie soit ta mémoire !

Elle m’aurait porté jusqu’au bout, n’était que, me sentant un homme, je ne le permis pas. Mais tout en cheminant, bien serré contre elle, ma main avait vite fait de saisir ses jupes lorsqu’un objet étrange, quelque branche tordue en façon de serpent, quelque tronc orné de gueule, yeux, pattes et griffes, monstre prêt à me dévorer, se dressait dans les profondeurs du bois.

Vers la nuit, nous atteignîmes le but du voyage.

Je me trouvai tout à coup entouré de plus d’enfants noirs, marrons, cuivrés, quasi blancs, que je n’en avais vu de ma vie. Nouveau venu, l’intérêt général se fixa sur moi. Rires, cris, bons tours, rien n’y manquait. Après quoi, les camarades m’invitèrent à jouer avec eux.

Mon cœur n’y était pas. Je refusai.

Grand’mère me regardait tristement. Une séparation nouvelle, succédant à tant d’autres ; elle savait cela. Passant sa main sur ma tête :

— Sois bon garçon ! fit-elle : Va, rejoins-les, ce sont tes parents. Voilà ton frère Perry, tes sœurs, Clara, Eliza !