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Cela ne dura guère. Bientôt la lumière, une triste clarté, se fit. Notre hutte, le nid de mon enfance, n’appartenait pas à grand’mère ; ce nid avait un possesseur, que je n’avais jamais vu, qui demeurait au loin.

Plus lamentable encore cette autre découverte : grand’mère, les négrillons dont elle prenait soin, moi-même, nous étions la propriété de cet inconnu, qu’avec une vénération mêlée de terreur, grand’mère appelait le Vieux Maître !

Ainsi je rencontrai ma première douleur.

D’autres révélations l’accrurent. — Ces négrillons enlevés, sitôt le premier âge passé, sur un ordre du Vieux Maître, ils disparaissaient pour toujours.

Grand’mère était mon tout. Viendrait-on, moi aussi, m’arracher d’elle ?

Ce maître mystérieux, dont le nom : Captain Aaron Anthony, ne se prononçait qu’en tremblant, n’était pourtant pas le vrai maître. Homme important, propriétaire de maintes fermes, il exerçait l’emploi d’intendant sur les terres de notre patron, le colonel Lloyd.

Captain Anthony habitait la plantation du colonel, une des plus considérables de l’État.

Plus m’arrivait la connaissance, plus s’ébranlait mon bonheur.

Oh ! pensais-je, si je pouvais ne pas grandir ! Vieux chaume, vieux arbres, vieux puits, j’embrassais tout d’un regard passionné.

Grand’mère, qui savait mes frayeurs, et que le moment se faisait proche, gardait le silence. — Elle le