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tres comme une indiscrète curiosité. Faute de connaître les mois de l’année ou les jours du mois, les noirs comptaient par saisons et par récoltes. Mes calculs, néanmoins, basés sur certains événements dont j’ai dès lors appris la date, font remonter ma naissance à février 1817.

Les souvenirs du premier âge me ramènent sous le toit de ma grand mère : Betsy Bailey.

Soit la veillesse, soit les services rendus, lui avaient assuré une position à part. Vivant dans une cabine séparée du quartier des esclaves, hautement estimée de tous, elle exerçait ses talents, tour à tour comme infirmière, jardinière, batelière, sans compter les filets, qu’elle nouait et reprisait à merveille. Que de fois je l’ai vue, dans l’eau jusqu’à la ceinture, jeter la seine ou le cerceau ! Sa main n’avait pas moins de bonheur lorsqu’il s’agissait de planter les patates, si bien que, superstition aidant, on l’appelait de droite et de gauche pour mettre les tubercules en terre, quitte à lui faire bonne part, quand réussissait la récolte.

À ces fonctions, grand’mère en joignait une autre : garder les négrillons.

Car les mères, louées à de grandes distances lorsque le travail baissait chez le planteur, n’apercevaient leur progéniture que de loin en loin. Faire de l’homme une brute, moins que cela : une chose ; tel était le système.

Les cinq filles de ma grand’mère, louées de la sorte, me demeuraient presque inconnues.

Mais ma mère ! La mienne ! Franchissant de nuit,