il fallait le traverser. Sur les frontières qui séparaient la liberté de la servitude, se tenaient les limiers, guettant leur proie. Jamais cœur de renard ou de cerf poursuivi par les chiens, n’a battu comme battait mon cœur !
Au passage de la Susquehanna — il s’opérait alors en bac — un jeune homme, un noir, que je connaissais, qui poussait la barque, me regarde, m’aborde, prétend m’avoir vu ailleurs, et au lieu de vaquer à son ouvrage, me crible de questions indiscrètes : d’où je viens, où je vais, quand je retourne à Baltimore ?
Impassible sous les frissons — il n’en fallait pas tant pour me compromettre — je m’éloignai, et disparus.
La rivière traversée, autre péril. J’avais, quelques jours auparavant, calfaté un cutter, sous les ordres du Captain Mc Gowan. Juste à ce point, deux trains se croisent : l’un du Nord, l’autre du Sud. Or, tandis qu’ils stoppent un instant, qui vois-je en face de moi ? Captain Mc Gowan, visage à la portière. Un regard de lui, j’étais reconnu ! — Par la grâce de Dieu, je ne sais quel brouhaha se fit, les trains filèrent : Encore sauvé !
Plus loin c’est Wilfrid, forgeron allemand, avec lequel j’avais travaillé, qui voyage dans notre train, descend à chaque arrêt, et chaque fois attache ses yeux sur les miens. — Me reconnut-il ? Je ne sais, en tout cas, il me laissa courir.
Wilmington, la plus mauvaise passe, restait devant moi. On y échangeait le railroad contre le steamer de