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de l’adoption du français

mands, un Anglais, trois Italiens, deux Hollandais et six Américains, donc pas un seul Français) ait abouti à une langue exclusivement romane par sa grammaire et son vocabulaire !

Il est cependant à remarquer qu’en se rapprochant des langues romanes les langues artificielles prennent l’apparence disgracieuse et choquante d’une langue nationale estropiée, n’ayant d’autre part aucune littérature ni tradition vivante. C’est ce que Remy de Gourmont fait ressortir avec humour dans le passage suivant : « Le goût de l’esperanto est barbare. Peut-être que ce langage n’est pas très désobligeant pour un Turc, mais un Français tel que moi-même ne peut voir, sans honte, ces mots volés à sa propre langue et mutilés ou bariolés à la sauvage. Il me semble que je considère avec pitié un de ces prisonniers d’autrefois qu’on renvoyait aux siens le nez coupé, les oreilles rasées. »

L’espéranto. — Zamenhof chercha à éviter de parodier les langues romanes en adoptant trois catégories de radicaux, à savoir : les internationaux réels, ceux qui ne le sont que partiellement, et ceux qui ne le sont pas du tout. Ces derniers ramènent naturellement l’arbitraire qu’il fallait surtout écarter.

Un autre inconvénient que présente l’espéranto, ainsi d’ailleurs que toutes les langues artificielles, est la déformation que la dérivation régulière fait subir aux radicaux au point de les défigurer complètement. C’est pourquoi Grabowski est fondé en reprochant à l’espéranto de dire komunikiĝo pour communicasion et leĝigi pour légalizer, etc. On se trouve ainsi acculé à cette antinomie : les mots internationaux ne sont pas réguliers et les mots réguliers ne sont pas internationaux. Il est certain que l’on préférera toujours des mots internationaux irréguliers, mais connus, à des néologismes réguliers, mais barbares. L’on est ainsi conduit à reconnaître que les radicaux internationaux à dérivation régulière, tout autant que les radicaux pris arbitrairement, mènent à une langue inacceptable. La régularité tant prônée de la dérivation des langues artificielles est donc un leurre !

Notons encore que l’esperanto a le tort de présenter une forme spéciale pour l’accusatif, alors que l’évolution générale des langues modernes les oriente vers l’analytisme, c’est-à-dire la suppression des régimes.

On ne s’étonnera point que des tendances se manifestèrent dans le sens d’une réforme de l’esperanto. C’est ainsi que virent le jour