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employé par Washington dans la guerre de l’indépendance, et qui, toute sa vie, se laissa insulter du nom d’espion pour mieux servir la cause de la liberté ?

— Oh ! père, s’écria la comtesse, dont les mains se joignirent, je me suis doutée bien souvent que vous étiez le serviteur, le maître peut-être de quelque grande entreprise politique.

— Assez là-dessus, ma petite Fanchette, interrompit le colonel ; tu me connaîtras mieux quand je ne serai plus là. Pour le moment, il me suffit de te dire que je joue un jeu difficile et dangereux… Vois si j’ai de la confiance en toi, je vais te dire un secret : je ne te renvoie pas aujourd’hui par crainte de mécontenter cette brave Mme de Tresmes ; je te renvoie parce qu’il va se passer ici des choses que tu ne dois pas voir.

— Bon père, dit la comtesse, dont les yeux se mouillèrent, combien je vous remercie ! Ajoutez encore un mot, dites-moi que cette terrible pâleur…

— Eh ! eh ! mignonne, fit le vieillard, qui eut pour un instant son sourire de tous les jours, je ne peux pas t’affirmer que je sois frais comme une rose ; mais enfin, chacun se défend comme il peut n’est-ce pas ? J’ai affaire à des tigres, et voilà près d’un siècle que je les fais danser comme des marionnettes !… Achève de t’habiller, trésor ; je te donne vingt minutes pour passer ta robe et te faire plus belle qu’un astre. Tu reviendras m’embrasser, et cinq minutes après ton départ, je commencerai ma besogne.

Francesca, heureuse, mais toute pensive, déposa un baiser sur son front et courut à sa toilette.